Artiste

GUSTAVE FAYET, ARTISTE

L’aventure artistique de Gustave Fayet est le récit initiatique d’une quête, celle de la pleine conscience. L’homme aux multiples facettes, aux nombreux atouts et à la part d’ombre, chercha toute sa vie l’état de plénitude par l’accomplissement de ses dons artistiques au travers d’un regard. Un regard d’abord porté sur le monde extérieur et ses plaisirs, puis au gré de sa rencontre avec deux visionnaires, Paul Gauguin et Odilon Redon, par la transmutation de sa souffrance silencieuse, ce regard se porta sur son monde intérieur, celui du rêve, celui de l’être. Peindre l’invisible sous l’empire de la couleur. Enchanter le monde en jetant au sol les mailles serrées de la floraison de ses rêves. Écrire la beauté lumineuse de la mère Méditerranée et de ses enfants les oliviers avec l’encre puissante et sombre de ses émotions. Semer des fleurs de dévotion autour de la beauté sacrée des livres en ultime héritage. Les cyprès funéraires quittèrent le tableau de sa vie, pour former le cortège immobile d’une mort attendue.

Femmes dans un champ au bord du chemin
Gustave Fayet – 1887 – Huile

Satisfaire l’œil :
la maîtrise de la couleur

Ses premiers maîtres furent son oncle Léon et son père Gabriel, frères unis par l’art.

Gustave suivit leur exemple avec une piété toute filiale : pratique du plein air, de la peinture à l’huile, du paysage, nombreux voyages, direction du Musée, présentation de ses œuvres aux salons parisiens et régionaux, organisation du salon de Béziers.

Entre sa première huile Femmes dans un champ au bord du chemin (1887), et Les cyprès bleus (1902), on suit son exploration de la postérité de l’école de Barbizon, celle de ses maîtres, avec la volonté de fixer les effets de la lumière naturelle sur la nature méditerranéenne.

Ses multiples voyages le conduisirent sur les pas de Turner, de Monet et de Van Gogh, sous les ciels batave, britannique, germanique et vénitien. Jaune, violet, bleu, mauve, vert, rouge, orangé … sa gamme chromatique se fit de plus en plus audacieuse.

Les CYPRÈS BLEUS – GUSTAVE FAYET – 1902 – HUILE

L’ART DE LA CÉRAMIQUE

Le collectionneur de beaux objets et l’amoureux de la couleur s’unirent pour expérimenter l’art de la céramique émaillée dans la mouvance des Nabis. Avec Louis Paul, compatriote biterrois peintre, dessinateur, caricaturiste, son adjoint puis son successeur à la direction du Musée, ils réalisèrent entre 1896 et 1900 environ 70 vases décoratifs aux formes souples et végétales, parés d’émaux mats aux reflets multicolores, selon une esthétique Art Nouveau teintée de japonisme.

En 1900 Gustave Fayet se prit de passion pour Gauguin et Redon qu’il collectionna et soutint avec ferveur. Il fut durablement impressionné par leur approche synthétiste de la couleur, dépassant largement l’illusion impressionniste qu’ils méprisaient. Comme eux, Gustave Fayet laissa libre cours à son amour immodéré de la couleur par l’usage d’aplats unis et la recherche d’effets dramatiques. Ses huiles et pastels peints en 1901 et 1902 expriment un changement radical : La route mystérieuse, Les Allées Paul-Riquet à Béziers au crépuscule, Bleu et or d’un soir de Sicile traduisent la montée en puissance de sa gamme chromatique, affichant une grande expressivité par le jeu accusé des contrastes dans une harmonie nouvelle, éclatante et mystérieuse.

LA ROUTE MYSTÉRIEUSE – GUSTAVE FAYET – 1902 – PASTEL

LES ALLÉES PAUL RIQUET – GUSTAVE FAYET – 1901- PASTEL

La maïeutique redonienne

(1902-1910)

Redon conduisit Fayet dans une dimension supérieure. En maître du regard, il le poussa à se dépasser : “Exprimez-vous là toute la profondeur de votre âme ?”. Fayet comprit à son contact l’impasse de son art impressionniste : “Je regardais la nature et je la vis toute autre”. Il s’arrêta de peindre volontairement en 1902 et ne reprit les pinceaux qu’au terme d’une incubation. Redon fut l’accoucheur de son esprit, le révélateur de son intériorité : “Il fit éclore en moi la notion de spirituel”.
Durant cette période Fayet fut très épris de ses Noirs, visions hermétiques terrifiantes. Il s’intéressait lui-aussi aux sciences occultes par son ami Maurice Fabre, qui l’avait introduit dans les cercles symbolistes et présenté Redon.

L’atmosphère spirituelle de Fontfroide acquise en 1908 l’incitait à cultiver sa dimension intérieure habitée par la mort, depuis le décès de son fils Gabriel en 1909 et le retour du corps du dernier abbé, le père Jean, mort en exil en odeur de sainteté. Malgré ce drame familial, dans la continuité d’une présence spirituelle et funéraire, Gustave et Madeleine Fayet poursuivirent la “restitution à l’art” de l’ancienne abbaye par la commande à Redon de la décoration de la bibliothèque, achevée en 1911. Durant ses longs séjours à Fontfroide, Fayet put s’adonner à des “fermentations spirituelles puissantes” qui le conduisirent au “centre mystérieux de la pensée”, but ultime de l’art selon Gauguin.

Lever de lune dans la vallée – Gustave Fayet – 1910 – Pastel

L’artiste en plénitude :
aquarelle, illustration, dessin

Ayant progressé dans la voie de l’être, Fayet put reprendre sa quête artistique avec une grande prolixité. Son retour s’opéra avec un très beau pastel dessiné dans les environs de Fontfroide au crépuscule en 1910, Lever de lune dans la vallée. À partir de 1911 il renoua avec l’aquarelle non plus comme recueil de l’anecdote mais comme technique d’expression à part entière.

Dans une esthétique toute symboliste, il peignit dès 1911 les montagnes pyrénéennes qu’il fréquentait pour la gestion de ses propriétés minières en Val d’Aran. La composition s’inspire des estampes japonaises et de la peinture chinoise, mais ici le trait disparaît derrière la couleur qui construit et structure le dessin à l’instar de Redon. Les lignes fusionnent dans un effet de flou obtenu par l’emploi de papier buvard comme support, mêlant des tons doux de bleu, rose, mauve, violet, blanc.
A partir de 1914, il s’établit dans le Midi pour s’éloigner du front. Il y réalisa trois séries d’aquarelles prenant pour sujet le paysage. Il rejeta le buvard pour laisser éclater les couleurs vives d’une palette plus large, sensée traduire son éblouissement devant la beauté de la nature méditerranéenne.

Fonfroide, entrée de l’abbaye – Gustave Fayet – 1914 – Aquarelle

Fontfroide, vue depuis la terrasse – Gustave Fayet – 1914 – Aquarelle

L’AQUARELLE DÉCORATIVE

L’emploi d’un cerne noir marqué, comparable au cloisonnisme des Nabis, à la peinture de Van Gogh, Hiroshige et Hokusai, aux vitraux de Richard Burgsthal créés pour l’abbatiale à cette époque, donne relief et vigueur aux paysages des environs de Fontfroide (1914-1915), de Banyuls (1915), des Lecques et de l’abbaye Saint André à Villeneuve-lès-Avignon (1916-1920).

Depuis 1912 il expérimentait également l’aquarelle décorative d’une manière extrêmement personnelle. Les stimulations visuelles, sonores et mentales que lui procurait Fontfroide peuplaient son esprit de rêveries colorées, de formes féeriques et étranges, de visions. Il reprit la technique de l’aquarelle sur buvard pour son effet de fondu vaporeux. Lorsqu’il réussissait à fixer ses rêves, il s’oubliait lui-même dans un élan mystique, au point de se dire possédé par le “démon de la couleur”, gouverné par une autre volonté que la sienne.

Comme saint François d’Assise, Redon et Burgsthal, il puisa dans la nature son inspiration. Mais il s’exprima sur un mode poétique entre figuration et abstraction. Il voyait lui-même dans ses œuvres des “pétales se livrant au vent”, des “lucioles”, des “accouplements de larves immondes”, ou encore “un voyage au fond des abîmes insoupçonnés des mers”. Tout son travail se voulait une quête d’harmonie, à travers un jeu d’effets esthétiques ambivalents mais équilibrés, animés d’un mouvement ondulatoire rappelant les vagues et le vent.

Gustave Fayet tenait sa grande culture d’un goût héréditaire pour les livres. Son arrière-grand-père Jacques Azaïs, bâtonnier du barreau de Béziers, grand érudit et félibre, avait contribué à créer la plus importante société savante de la ville en 1834, la Société Archéologique, dans laquelle s’illustrèrent Gabriel et Léon Fayet. Ses deux bibliothèques d’Igny et de Fontfroide reflétaient son esprit universel : histoire, géographie, archéologie, botanique, entomologie, ornithologie, textes sacrés, anthropologie des religions, ésotérisme, littérature classique, littérature contemporaine… Sa prédilection allait aux œuvres de spiritualité appartenant à plusieurs civilisations, ce qui n’étonne guère venant d’un être aussi pleinement conscient de sa part d’intériorité dans laquelle il puisait son inspiration.

L’ermitage de Fontfroide – Gustave Fayet – 1913 – Aquarelle

Gustave Fayet – Aquarelle sur papier buvard

L’amoureux des beaux objets était naturellement bibliophile. Il collectionnait des éditions rares de Machiavel, Jean Morréas, Rimbaud, Baudelaire, mais aussi des ouvrages richement illustrés par Burgsthal, Gustave Doré et Pierre Bonnard. Un homme aussi complet ne pouvait résister à l’unification dans une œuvre de son amour des lettres, des beaux objets et de sa pulsion créatrice ; il se fit illustrateur. Il décora douze ouvrages entre 1916 et 1925, dont cinq seulement furent publiés, à tirage confidentiel. Il conserva les autres pour lui-même ou les offrit à ses amis et enfants.
Sa période de production la plus féconde est contemporaine de l’aventure de la production de ses tapis, entre 1922 et sa mort. Les thématiques abordées par les ouvrages qu’il illustra sont en corrélation avec le programme iconographique de Fontfroide largement inspiré par les thématiques wagnériennes : l’amour humain et l’amour divin, la poésie célébrant la nature. Il poussa la quête d’unité en rédigeant lui-même un texte qu’il illustra, Fleurs. Il s’agit d’une sorte de testament spirituel réalisé l’année de sa mort, adressé à sa postérité et préfacé par son ami le poète et écrivain André Suarès. Fayet y rend un hommage à saint François d’Assise, déjà manifesté dans les vitraux de Fontfroide.

Illustration de Gustave Fayet dans la Bhagavad-Gîtâ

Fleurs – Ecrit et illustré par Gustave Fayet – 1925

Olivier photographié par Gustave Fayet à Majorque – 1924

VOYAGES
& DECOUVERTES

Deux voyages marquèrent la fin de sa vie, toujours en quête d’une lumière nouvelle, une lumière du Sud. Cette quête l’attira aux Baléares puis à Venise, Ravenne et Vérone. Il se rendit d’abord aux Baléares afin de retrouver la quintessence de cette Méditerranée aimée, à la suite de ses amis catalans et de Gauguin qui y prévoyait un voyage empêché par la mort.


À Puerto Soller il apprécia les cultures bien tenues dont le goût lui fut donné par son père. Surtout, il tomba en admiration devant des oliviers centenaires qu’il qualifia de “monstres divins”. Il était fasciné par leurs troncs tortueux anthropomorphes. Il les photographia abondamment et les dessina avec frénésie à l’encre noire sur le motif avant de les reproduire en atelier comme à son habitude.

Il dessina également des paysages sur papier calque marron, avec une touche noire épaisse qui rappelle ses aquarelles de paysages et l’estampe japonaise, toujours. Il échangea une riche correspondance avec Suarès, dans laquelle il clamait son amour du calme apaisant qu’il goûtait avec délectation et d’une vie proche d’une nature régénérante.

Après la révélation du paradis majorquin il se rendit l’année suivante en Vénétie sur les traces de son voyage de noces de 1893. Il était séparé de Madeleine depuis deux ans, et fit ce voyage en compagnie du Voyage du Condottiere, récit de son ami Suarès. Désormais Fayet voyait les lieux tout autrement : il aspirait à un retour aux formes simples mais luxueuses de l’art impérial des mosaïques de Ravenne et poursuivait sa contemplation perpétuelle de la nature. Il fut particulièrement marqué par la lagune vénitienne qu’il représenta en aquarelles sur buvards. Cette technique et ce support lui permettaient de restituer avec originalité toutes les nuances de la lumière sur les eaux, confondue avec le ciel à l’horizon dans une impression générale de grand calme

Lagune de Venise – Gustave Fayet – 1925

À Vérone il renoua avec le dessin à l’encre de Chine pour représenter les jardins du comte Giusti et les cyprès qu’il affectionnait tant. De ces deux voyages il ramena une documentation abondante qu’il comptait exploiter pour de nouvelles créations, avant de prévoir un retour rapide à Majorque cette fois-ci avec Suarès. Mais son énergie créatrice fut interrompue par sa mort brutale le 24 septembre 1925, alors qu’il commençait à atteindre l’état de bonheur de l’artiste vivant de son art.

Par Lionel Rodriguez, Attaché de Conservation du Patrimoine.