Entrepreneur et homme d’affaires

Gustave Fayet
entrepreneur et homme d’affaires

En matière économique, Gustave Fayet ne se contentait pas d’exploiter un groupe de domaines viticoles et de placer son capital en œuvres d’art. Les surplus de trésorerie tirés de la bonne administration de ses domaines par Paul Thomas lui offraient la possibilité de rechercher sur le marché des placements plus complexes sensés diversifier ses activités jusque-là essentiellement viticoles. Ses ancêtres barquiers sur le canal puis négociants avaient fini par devenir actionnaires de la Compagnie du Canal du Midi, puis actionnaires de la Compagnie des chemins de fer du Midi lorsque celle-ci racheta la première en 1858. Entre 1858 et 1871, Antoine Fayet investit dans le même secteur en achetant 241 obligations de la Compagnie du Canal Maritime de Suez. Gustave Fayet allait considérablement augmenter ce portefeuille à partir de 1908.

Le “Comptoir Alix-Julien”

Alix Julien était un banquier né à Béziers en 1868. Après avoir été formé dans les différents établissements de la ville, nombreux en raison du dynamisme du capitalisme viticole à la fin du XIXe siècle, il monta à Paris où il fonda sa propre banque d’affaires avec deux succursales importantes, l’une à Bordeaux, l’autre à Béziers ouverte en 1910.

Dans ces deux capitales viticoles, il mobilisa les fortunes pour les orienter vers des investissements industriels hautement productifs. Gustave Fayet et son beau-frère André d’Andoque déposèrent une partie de leurs trésorerie dans cette banque dont ils devinrent administrateurs. Gustave n’était pas à son premier investissement de type industriel puisqu’en 1905 il s’associa avec Arthur Combescure pour créer une distillerie rapidement prospère, exploitée à partir de 1911 sous forme de société anonyme.

Gustave Fayet se trouvait alors en situation de faire rayonner son action. Depuis 1905 il résidait à Paris et pouvait se rendre au siège de sa banque boulevard Haussmann. À Béziers où il descendait fréquemment, il lui suffisait de se rendre au “Comptoir Alix-Julien” avenue Saint-Saëns à partir de 1910, transféré Allées Paul-Riquet en 1912, pour gérer ses affaires et notamment le compte de ses domaines.

Il est probable que par sa succursale bordelaise Alix Julien prît connaissance de l’émission d’actions et d’obligations d’une nouvelle société minière du Val d’Aran très prometteuse, vers laquelle il entraîna Gustave Fayet et André d’Andoque.

La “Société des mines de zinc de Bosost”

La petite vallée pyrénéenne espagnole du Val d’Aran s’animait depuis les années 1900 d’une intense activité minière. Les massifs environnants recelaient des minerais à partir desquels on obtenait du zinc et du laiton : blende, calamine, plomb argentifère. Environ quatre-vingts compagnies de petite taille se partageaient une soixantaine de concessions, malgré les difficultés d’extraction dues à l’altitude et aux rigueurs du climat.

Elles vendaient leur production de minerai à “La Vieille Montagne”, société belge basée près de Liège sur le plus grand gisement alors connu et exploité depuis 1808. Là, une usine extrayait le métal par distillation, à partir de minerai provenant de ses propres mines, mais aussi d’achats acheminés par voie maritime et ferroviaire.

“La Vieille Montagne” mit en évidence la qualité exceptionnelle du gisement « arannais » et ne tarda pas à y acquérir des concessions, tout en suscitant la convoitise d’autres sociétés rivales notamment françaises. L’homme d’affaires Henri Rochette domina la lutte féroce entre sociétés, fusionnées de gré ou de force à son groupe. La lutte s’acheva en malversations, arrestation de Rochette et liquidation. Une première tentative de reprise échoua, puis une seconde portée par des investisseurs bordelais réussit en 1907. Après deux années d’assainissement de la gouvernance, d’investissements et de redressement technique, ils fondèrent “La Société des Mines de Zinc de Bosost” le 12 octobre 1909 à Bordeaux. Alix Julien en était devenu actionnaire, et sa banque était celle de la Société.

Le succès de l’exploitation donnait à cette société un élan qui lui permit d’étendre son domaine minier à la totalité du Val d’Aran, par rachat des dernières mines dont certaines très importantes possédées par d’autres sociétés. Pour financer cette acquisition la société émit 11 000 actions, rachetées en majorité par Gustave Fayet, André d’Andoque et Alix Julien, qui firent alors leur entrée au conseil d’administration du 29 octobre 1910. Gustave Fayet prit l’une des deux vice-présidences, et s’affirma comme le vrai chef de l’entreprise jusqu’à sa liquidation en 1918. On peut penser que Gustave Fayet s’intéressa à Bosost par la banque Alix-Julien dont il était administrateur, et qui était devenue la banque de la société minière. De plus, en tant qu’actionnaire de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi, il trouvait matière à profit puisque c’est cette compagnie qui effectuait le fret du minerai entre la gare de Marignac au pied du Val d’Aran et le port de Bordeaux, d’où étaient expédiés ensuite les chargements vers Anvers et l’usine de Liège.

Gustave Fayet
administrateur

L’organisation de la société reposait sur des hommes de confiance très qualifiés. Gustave Fayet s’impliquait personnellement dans toutes les dimensions de l’activité, même les plus techniques, poussé par son esprit d’entrepreneur modernisateur. Léonce Camou dirigeait l’entreprise en tant qu’administrateur délégué. Il cumulait les fonctions d’administrateur de Bosost mais aussi d’une multitude d’autres sociétés minières. Félix Liouville, avocat à la Cour de Paris, gérait les questions juridiques et les nombreux contentieux auxquels la société dut faire face. Frédéric Bècle, biterrois et fondé de pouvoir de la banque Alix-Julien, appartenait au conseil d’administration. Il était considéré par Gustave Fayet comme son bras droit, au point qu’il le désigna en 1913 pour succéder à Camou comme administrateur délégué. La gestion technique reposait sur Jean Cahen, ingénieur civil des mines devenu ingénieur conseil de la société, et Corbier, ingénieur nommé chef d’exploitation. Gustave Fayet se déplaçait très fréquemment pour gérer Bosost. Outre ses nombreuses venues sur place, il réunissait le conseil d’administration tantôt à Paris au siège de la banque Alix-Julien, tantôt à Bordeaux ou à Toulouse à l’hôtel de la Compagnie du Midi. En effet, en tant qu’actionnaire de la compagnie ferroviaire, il voyageait sur ses lignes et était logé dans ses établissements gratuitement.

La gestion des sociétés minières du Val d’Aran avait été marquée par le scandale Rochette en 1908. En 1913, Camou dut à son tour s’effacer en raison de la gestion opaque et périlleuse de ses sociétés, impliquant la “Société des mines de zinc de Bosost” dont il était administrateur délégué. Il légua au conseil d’administration un passif en contentieux fort dommageable pour la suite. Malgré cela, Gustave Fayet poursuivait son action modernisatrice. Les méthodes d’exploitation archaïques freinaient le développement de la production et maintenaient un coût de revient élevé. Il commanda des projets techniques dont le plus pertinent fut la mécanisation de l’extraction et du transport du minerai. Pour cela il acheta avec son beau-frère des chutes d’eau près desquelles il construisit des centrales de production d’hydroélectricité, sur le modèle des centrales de la “Compagnie des chemins de fer du Midi” qui alimentaient le train jaune de Cerdagne et le train de Superbagnères tout proches. Il revendait ensuite cette énergie à la société de Bosost et à d’autres sociétés minières locales. Le minerai sorti des galeries était acheminé par wagonnets vers un téléphérique, puis descendu pour être lavé dans les eaux de la Garonne et ensuite transporté vers la gare de Marignac, d’où il partait par train vers Bordeaux, toujours par fret de la Compagnie du Midi.

Le déclenchement de la Guerre interrompit le développement bien engagé de la société, malgré la demande croissante de l’industrie de l’armement. Les trains étaient réquisitionnés par les armées, le transport maritime n’était plus libre et surtout les usines belges devenaient inaccessibles. Des usines de plus petite capacité se trouvaient en Grande-Bretagne et à Viviès dans le Gard, mais elles se révélèrent insuffisantes. Pour couronner le tout, le recours excessif de la Banque de France à la planche à billets pour financer l’effort de Guerre finit par déprécier la monnaie, renchérissant la rémunération en pesetas des salariés espagnols. Devant toutes ces difficultés accumulées, le conseil d’administration échoua à recapitaliser la société en 1918. En mars 1918 débuta la liquidation des actifs. Gustave Fayet créa alors une société de défaisance pour valoriser ses chutes d’eau et usines électriques qu’il possédait personnellement avec André d’Andoque. Jusqu’à sa mort en septembre 1925, il chercha à les vendre au meilleur prix, avec difficulté.

Par Lionel Rodrigez, Attaché de conservation du Patrimoine, d’après les travaux inédits de Gilles d’Andoque de sériège