Ses jardins

Gustave Fayet et ses jardins

Gustave Fayet, dont la personnalité est aujourd’hui mieux connue grâce aux travaux de recherche qui ont été conduits à son sujet et les expositions de peintures et de photographies organisées ces dernières années (cf. Biblio.), apparaît comme un homme ayant su associer merveilleusement une vie artistique intense et un esprit d’entreprise peu commun.

Une intense activité

Né dans une famille biterroise très aisée, où s’illustrent son oncle Léon et son père Gabriel, artistes et peintres de talent, sélectionnés régulièrement dans les Salons à Paris, Gustave Fayet est un esthète amoureux de la nature et de la vie.

Il dessine et peint très tôt dans le giron familial et ses carnets de voyages sont remplis de croquis conçus lors de ses périples à Venise, en Toscane ou dans le Midi, en compagnie de Madeleine d’Andoque, son épouse. Les scènes de nature – marines, jardins et paysages bucoliques – abondent et ses tableaux témoignent d’une sensibilité aigüe mise au service d’un talent de coloriste remarquable.

Son amitié avec Odilon Redon qui comblait son admiration pour l’artiste découvert à Paris, fera naître néanmoins en lui un doute profond sur son propre talent. Il arrêta de peindre et se voua à la décoration et à l’aménagement de ses propriétés jusqu’à la fin de la guerre de 14-18. Il reprit ensuite ses pinceaux pour réaliser ces merveilleuses cartons de tapisserie.

La portion cule à Fontfroide, Gustave Fayet, 1917, Aquarelle

Les jardins en terrasse à Fontfroide, Gustave Fayet, 1914, Aquarelle

Les châteaux de la Dragonne, Canet et l’Hôtel de la rue du Capus dont le joli jardin existe toujours, furent des biens de famille mis dans la corbeille de la mariée, Élise Fusier lorsqu’elle épousa Gabriel Fayet. Gustave passa son enfance au château de Milhau avec ses parents.

Il y vécut jusqu’à la mort de son père en 1899. Le château d’Igny fut acheté en 1904 par Gustave à la mort de sa mère car il désirait se rapprocher de Paris, d’Odilon Redon et des peintres et artistes qu’il admirait.

L’Abbaye de Fontfroide bien religieux en déshérence, fut achetée par Madeleine d’Andoque en 1908 et restaurée avec une belle énergie. Gustave s’en occupa jusqu’en 1923.

Ainsi pouvait il se consacrer aux jardins de l’Abbaye de Fontfroide, à ceux du château de Védilhan où il s’installa en 1899 avec son épouse, aux parcs des châteaux d’Igny et de la Dragonne notamment.

Enfin la maison de Costebrune à Toulon où il s’installa après la Grande Guerre, en 1921, pour parcourir la Provence à sa guise dans le but d’illustrer le superbe poème de Frédérique Mistral, Mireille, fut le prétexte à la création de grands décors peints et de terrasses fleuries donnant sur la mer.

Il restaura, aménagea, recomposa de nombreux jardins et parcs, soit directement pour sa femme et ses enfants, soit en aidant les membres de sa famille et ses amis de ses conseils (châteaux de Peyrat, de Sériège, de Raissac et de Canet, notamment). Ainsi en sera-t-il également de l’abbaye Saint-André à Villeneuve-lès-Avignon, qu’il acheta pour ses amies Elsa Koeberlé et Genia Lioubov. Sa fille Yseult témoigna dans les nombreuses lettres échangées avec son père que les jardins de leurs propriétés, le préoccupaient presque autant que l’entretien et la décoration des bâtiments, d’une part, ou l’enrichissement de ses collections de tableaux et d’œuvres d’art, d’autre part.

terrasse de l’abbaye Saint-André à Villeneuve-lès-Avignon, Gustave Fayet, 1916, Aquarelle

Le temps qu’il utilisait pour embellir ses résidences ne l’éloignait cependant pas des impératifs de la gestion des grands domaines viticoles dont il avait la charge en tant que propriétaire ou administrateur. Son activité incessante le portait à multiplier les centres d’intérêts au cours de ses déplacements et à pousser toujours plus loin son amour du travail bien fait. Autoritaire et méticuleux, il s’assura de l’assistance des meilleurs maîtres d’œuvre dont les travaux étaient placés sous la surveillance de ses régisseurs, lorsqu’il n’était pas sur place.

Les jardins des châteaux

Les parcs et jardins des châteaux de la famille Fayet – d’Andoque n’étaient pas très différents par leur style, de ceux qui entouraient et embellissaient les abords et les perspectives des demeures de la région de Béziers ou du Bordelais, à cette époque. Les modèles de jardins de la fin du XIXe siècle associaient des éléments de composition régulière, voire « néo-classique » à des aménagements de parcs paysagers, très « naturels » quoique fort « travaillés ».

Les jardins à parterres de buis et de topiaires voisinaient ainsi avec une mosaïculture savante : « corbeilles » et « décors » très caractéristiques de la formation des jardiniers du XIX e siècle. Les massifs de fleurs annuelles et de plantes de serres, les parterres de vivaces et de rosiers souvent assemblés en roseraies, faisaient référence à celles de Bagatelle ou de la Haïe les Roses. Les allées courbes et joliment dessinées étaient bordées de platanes ou de tilleuls. Des plantes aquatiques (nénuphars, lotus, papyrus…) garnissaient les bords de vastes pièces d’eau où les silhouettes des saules complétaient des tableaux charmants. Ainsi Canet, la Dragonne ou Védilhan témoignaient de ce goût pour les belles compositions et la recherche des miroirs d’eau.   Les influences anglaises et japonaises s’y mêlaient agréablement.

Le jardin du château d’Igny – Marie-Louise Strohl – Aquarelle

Lettre de Gustave Fayet à Yseult

« Je suis allé hier au soir à la Dragonne. Il n’est pas possible de voir un coin plus vert ! Et le saule pleureur ! Diantre ! c’est une chose, cet arbre de deux ans ! ! Les géraniums sont dehors. De grands iris pâles se reflètent dans le bassin. Les pensées bleues dessinent leurs arabesques sur le massif du bassin. Une grande corbeille se prépare sur le talus derrière le bassin. C’est une chose ! que c’est beau cette chose ! Les vignes sont magnifiques. Diantre. »

Gustave Fayet adorait le printemps en parcourant les allées de ses jardins. La mode des « beaux jardins » bien dessinés et entretenus par des jardiniers compétents accompagna la « castellisation » des vieilles métairies transformées et embellies ou la création ex nihilo de châteaux monumentaux, dus aux architectes Garros ou Carlier, notamment.

Elle participa ainsi aux plaisirs de la Belle Époque en permettant de donner des fêtes et des réceptions dans un cadre prestigieux lors des soirées d’été où « tous ceux qui comptaient dans le monde » se retrouvaient pour parler affaires, voyages et alliances familiales…

Gustave Fayet avait un amour de la nature, des arbres et des fleurs qui transparait dans toute sa correspondance et dans ses œuvres artistiques : dessin, peintures, fresques, papiers peints, tapis et tissus qui nous sont parvenus, formaient une véritable ode à la nature. Éclectique et foisonnante, sa production personnelle témoignait de son goût pour les paysages et les jardins du Midi.

Il peignit ainsi garrigues et parcs, tonnelles et jardins, en mettant l’accent sur les détails, comme en témoignent ses aquarelles et ses dessins conservés dans ses albums à Fontfroide ou accrochés aux murs des vestibules des châteaux familiaux.

Il se passionna pour les vieux oliviers, les cyprès de Provence ou des Baléares. Il enchanta salons et chambres avec des scènes inspirées par les arbres et les fleurs dont il revisitait silhouettes et couleurs. Il fut ainsi un propriétaire attentif aux plantations et aux compositions des jardins et des parcs de ses résidences, qu’il visitait régulièrement entre ses nombreux voyages et déplacements en France et à l’étranger.

Amoureux des jardins, il déplorait les tempêtes, notamment à Fontfroide, site qui fut très éprouvé à ce sujet, au début du XX e siècle. Il faisait replanter les arbres abattus dans la mesure du possible, pour effacer les cicatrices des intempéries et redonner du lien entre l’architecture et la nature, car il y tenait beaucoup.

Jardin à Fontfroide – Gustave Fayet – Aquarelle

« La roseraie » à Fontfroide – Gustave Fayet – 1918 – Aquarelle

Les châteaux de la Dragonne, Védilhan, Milhau, Canet notamment disposaient de jardiniers attitrés qui étaient en fonction toute l’année. 

Cependant, ils bénéficiaient de soutiens saisonniers, par le biais d’ouvriers agricoles et de spécialistes en arboriculture.

Vergers et arbres d’ornement (cèdres, pins parasols, cyprès, platanes, tilleuls, micocouliers, pins noirs et sapins du Portugal, saules pleureurs et peupliers blancs…. arbustes à fleurs et arbrisseaux décoratifs…. voisinaient avec bonheur dans des compositions qu’il s’attachait à contrôler et à inspecter régulièrement.

Gustave Fayet apparaît à travers les archives familiales et les témoignages recueillis comme une personnalité riche et complexe. 

Homme épris de beauté et soucieux de développer une culture artistique loin des contraintes d’un académisme qu’il jugeait dépassé, il fut l’ami des artistes d’avant-garde, au début du XX e siècle, qu’il contribua à faire connaître à Béziers et dans le Languedoc (Gauguin, Cézanne, Odilon Redon, Picasso, Burgsthal).

Homme organisé et moderne, il voulait voir loin et saisir les évolutions techniques et scientifiques pour les mettre au service de la gestion de ses biens. Remarquable administrateur, il accumula une fortune considérable qu’il fit fructifier malgré quelques déboires notamment dans le domaine minier et industriel.

Entreprenant mais âpre en affaires, il montra une remarquable intuition dans la prévention des risques financiers et économiques au moment des crises viticoles.

Jardiniers à la Dragonne

Étude d’arbre – Gustave Fayet

Homme épris de liberté au plan familial et social, il fut attentif aux siens et toujours soucieux de leur bienêtre mais ses absences pesèrent un peu sur l’éducation de ses enfants et sur la vie de son épouse.

Gustave Fayet nous laisse ainsi un héritage culturel important. Tombé dans l’oubli et parfois abandonné, celui-ci renait aujourd’hui grâce non seulement aux efforts de ses descendants mais aussi à ceux des chercheurs qui se passionnent pour sa vie et son œuvre, avec l’aide et le soutien de l’État et des collectivités régionales.

L’analyse de la composition de ses parcs et jardins est encore possible malgré les évolutions subies. Rocailles et pièces d’eau dormantes, frondaisons vertigineuses des grands arbres centenaires, allées ombreuses et fraiches ornées de vases et de statues… forment encore les traces visibles de l’intervention des paysagistes et des jardiniers, tout en percevant son désir d’embellir la nature ou de la préserver.

Nous nous surprenons parfois à attendre sa silhouette barbue et joviale au détour d’un chemin de desserte….

Courrier à Mr Picard, pépiniériste Béziers. 14 février 1917.
Objet : La Dragonne.
Où il est question de plantations de 55 peupliers pour compléter les manquants

« On fait les trous en ce moment. Veuillez penser à venir donner le tracé des allées du parc, car en raison du mauvais temps, notre personnel ne pouvant être occupé aux travaux de la vigne, nous l’emploierions à faire les réparations que vous indiqueriez. Pensez à faire connaître au régisseur l’emplacement pour les platanes de l’allée du centre. Il conviendrait enfin de nous envoyer les spécialistes pour l’échenillage et les soins à donner à tous les arbres en général. »

« pour G. Fayet ».

Bibliographie

Abriat Natacha, Audurier Cros Alix, Ganibenc Dominique, Rodriguez Lionel, Gustave FAYET.
Châteaux vignobles et mécénat en Languedoc. Coll FOCUS Patrimoine. Éditions Lieux dits. 2012.

Gamboni Dario, Guibourgé Stéphane, d’Andoque Alexandre, Rougeot Magali. Gustave Fayet, L’œil souverain.
Éditions du regard. 2015.

Expositions

Château et mairie d’IGNY. 2012. Seine et Oise.
Musée des Beaux-Arts Fabregat, place de la Révolution.
Béziers 2015.
Musée Fayet, 9 rue du Capus. Béziers.
Musée Hyacinthe Rigaud à Perpignan.
Musée du Biterrois. Caserne St Jacques.

Illustrations

Documents (dessins, peintures, photos anciennes et modernes) « Gustave Fayet (1865-1925) et les jardins de ses résidences à la Belle Époque » Par Alix Audurier Cros Professeur Émérite en architecture.

Laboratoire ART Dev UMR 5281 CNRS. Université Montpellier III Fait à Saint André de Sangonis le 18 avril 2016