Un talent d’illustration
À la fin de sa carrière entre 1920 et 1925, Gustave Fayet décline son œuvre décorative sur le livre. Si ses livres illustrés sont encore méconnus, certains d’entre eux sont cités dans plusieurs évènements et travaux universitaires. Lors de l’exposition Gustave Fayet « Vous peintre » en 2006 au musée Terrus, certains livres illustrés sont présentés pour la première fois au grand public. Quelques années plus tard, la thèse de Magali Rougeot, Gustave Fayet (1865-1925), itinéraire d’un artiste-collectionneur et la monographie Gustave Fayet, L’œil souverain présentent le livre comme un support à part entière. Dans cette même approche, les éditions Actes Sud publient en 2009, les illustrations pour Miréio – Mireille de Frédéric Mistral.
En 2020, un mémoire de master intitulé Les illustrations méditerranéennes de Gustave Fayet s’attache à analyser ses talents d’illustrateur en histoire de l’art à l’Université d’Aix-Marseille sous la direction de Madame Rossella Froissart et de Monsieur Pierre Pinchon. Menée en étroite collaboration avec les descendants Fayet, cette étude permet également de découvrir des livres inédits et d’étudier une production méditerranéenne en phase avec la modernité du XXe siècle.
Mireïo-Mirelle de Frédéric Mistral, illustré par Gustave Fayet, 1922, éditions Actes Sud
Les dernières floraisons
de Gustave Fayet
Depuis sa première décoration de livre en 1920 jusqu’à la fin de sa vie, Fayet réalisa quatorze livres illustrés comme Les Fleurs du Mal de Baudelaire, les textes de Saint Jean de la Croix, des poèmes indous, des poèmes d’auteurs contemporains ainsi que sa production littéraire : Fleurs, dédiée à ses petits-enfants.
En analysant de plus près sa production, l’ensemble de ces livres présentent deux motifs principaux : une botanique imaginaire et des paysages méditerranéens vécus et contemplés. Dans les ouvrages Quelques poèmes préférés parmi Les Fleurs du Mal, Le Cantique des Cantiques, et Les Canciones, une botanique vivante et imaginaire cohabite ou empiète sur la typographie stylisée du texte. Réalisées à l’encre noire, ses fleurs sont monumentales, en hybridation ou parfois épineuses et aquatiques.
Le meilleur exemple de cette étrange botanique est sans nul doute : Fleurs, Promenade dans un étrange jardin sous un prétexte de botanique.
Dernier ouvrage avant son décès, ce livre se présente comme l’apothéose de son imagination florale. Après l’écriture d’un conte pour enfant en collaboration avec André Suarès, Fayet présente « les fleurs de son jardin » tel un herbier, page après page.
Si ce décor livresque est majoritairement en noir, certains livres présentent des fleurs en couleur comme le poème indou : La Bhâgavad-Gîta. Vives et éclatantes, elles sont le miroir des tapis qu’il réalise dès 1920. D’un support à un autre, Fayet propage cette flore sur le textile puis se fixe sur la page formant ainsi un ensemble harmonieux et cohérent.
Gustave Fayet, Quelques poèmes préférés parmi les Fleurs du Mal de Ch. Baudelaire, illustré de vingt et un dessins à l’encre noire, s.n.,
Entre les pinceaux de Fayet : le destin de Mireille
Ses illustrations sont aussi la projection d’un lieu méditerranéen et provençal. Après l’achat d’une édition originale de Miréio – Mireille à la librairie Roumanille en 1922, Fayet annonce dans une lettre envoyée à son fils Léon : « Et puis mon idée fixe est d’illustrer Mireille ! J’irai cet automne passer un mois en Camargue ! ». L’intérêt de Fayet pour Mistral s’explique en partie par ses aïeux : Jacques Azaïs, fondateur de la Société Archéologique de Béziers en 1864 et son fils Bruno Azaïs, pionnier et auteur de nombreux ouvrages félibres.
En août de la même année, son pèlerinage provençal commence. Seul devant le motif, il produit une documentation considérable (dessins, aquarelles, photographies) en vue de réaliser son ouvrage. Ainsi en 1922, Fayet dessine soixante-douze planches sur carton à l’encre de chine. Son livre devient une cartographie et une projection mentale de son itinéraire provençal.
Les paysages de la Camargue, des Bouches du Rhône et du Vaucluse sont solitaires, parfois angoissants par le travail hachuré, évoquant le destin tragique de la jeune Mireille. Proche des idées et artistes symbolistes, ces dessins sont représentatifs des derniers pétales baudelairiens.
Gustave Fayet, illustrations Les Accords par Elsa Koeberlé, frontispice illustré par G. d’Espagnat, Paris, Édition du Mercure de France, 1906.
La modernité de Fayet sur les murs et les pages
Fayet exerce également ses talents d’illustrateur au service de ses amis résidant sur le pourtour méditerranéen. Pour Elsa Koeberlé, auteure des poèmes Les Accords, il lui offre le recueil illustré et relié en 1922. Toujours à l’encre de chine, l’artiste suit le texte en dessinant sur chaque page un paysage décrit par l’auteure. Rencontrée en 1916, au Grand Hôtel des Lecques à Saint-Cyr-sur-Mer, il n’hésite pas à faire l’achat de l’Abbaye Saint André de Villeneuve-lès-Avignon pour la jeune Alsacienne, lieu où est aujourd’hui conservé
Dans le recueil de poèmes La Galère de Myrto de Maurice Pottecher, rencontré lors de son installation à Toulon, Fayet reprend certains motifs de sa Villa Costebrune sur chaque page de l’ouvrage. Dans ses poèmes, l’auteur utilise un vocabulaire classique faisant référence à la Grèce antique. Suivant la prose virgilienne de Pottecher, l’artiste reprend le motif de la mer, des cyprès et des temples qu’il reprend depuis ses voyages en Sicile, en Grèce et à Majorque. Ce retour à l’âge d’or grec, Fayet l’applique à travers ses talents de décorateur pour ses somptueuses demeures notamment au château de la Dragonne. Les murs et le mobilier sont décorés de paysages élyséens, de fontaines de jouvence et de paysages méditerranéens. Réalisés dans chacune de ses demeures, ses décors livresques sont liés à une propriété. L’ouverture d’un livre est l’ouverture d’un lieu où Fayet laisse entrevoir entre les pages son individualité. En somme, le livre devient la synthèse de son art. Proche de la nouvelle génération, il collabore également avec de jeunes auteurs comme René-Louis Doyon et Maurice Guierre.
Gustave Fayet, décor mural et tapis, salon de la villa costebrune, Cap-Brun, vers 1920
Cependant, son intérêt pour le livre se renforce davantage lors de sa déterminante rencontre avec André Suarès en 1923. Durant trois ans, les deux hommes se lient d’amitié et s’écrivent régulièrement. Ils ont ensemble de nombreux projets de publication et partagent leur profond attachement à la Provence. Dès le début de leur relation, Fayet dessine des illustrations pour le recueil de poèmes Sous le pont de la lune, non localisées actuellement. Suarès participe également à la conception du poème indou, Le Nuage Messager, définissant la typographie et la mise en page. Il participe à la rédaction du livre Fleurs en réalisant la préface. Cette dernière s’adresse directement aux petits-enfants de Fayet dans un registre alors inédit pour André Suarès.
Gustave Fayet, illustrations La Galère de Myrto par Maurice Pottecher, illustré par trente et un dessins colorés, aquarelle et mine de plomb, papier lisse, Paris, Librairie de France, tiré à trois cent cinquante exemplaires, 1926.
Gustave Fayet, illustrations Le Nuage Messager de Kalidasa, retranscrit par le graphiste lefèvre, illustré de soixante-neuf dessins colorés, gouache, papier bleuté de l’an XII, 22,5 cm, dédicacé par Gustave Fayet à sa fille Simone, 1925, Narbonne , Abbaye de Fontfroide
Lectures et travaux universitaires inédits
Le 24 et 25 avril 2020 s’est tenu le colloque « André Suarès écrivain de la méditerranée » à l’École normale supérieure de Paris. Autour de la thématique méditerranéenne, la relation entre Fayet et Suarès a fait l’objet d’une étude approfondie grâce à la correspondance entre les deux hommes, entièrement retranscrite dans le mémoire. Écrit sur le pourtour méditerranéen, cet échange épistolaire de presque trois ans illustre leurs passions communes pour le livre, l’attachement à une terre latine et à la culture classique. Il devient également le témoignage d’une fidèle et durable amitié entre les deux hommes. Cette première étude a permis de resituer la place irremplaçable de Fayet dans le cercle de Suarès. Cette participation est disponible dans l’ouvrage « André Suarès, écrivain de la méditerranée » publié en 2023 aux éditions Classiques Garnier.
Restées en état de projet, plusieurs illustrations devaient voir le jour : les Illuminations de Rimbaud, La vie de Thérèse d’Avila ou encore le Cantique du Soleil de Saint François d’Assise. Cette nouvelle étude permet de découvrir Gustave Fayet en tant que décorateur et bibliophile à travers une géographie provençale et méditerranéenne.
Elle s’attache également à mettre en lumière ses relations avec des auteurs méridionaux restées dans l’ombre. Le livre de la carrière de Gustave Fayet est loin de se fermer. Au contraire, certaines pages sont encore à découvrir.
Par élodie cottrez, doctorante en histoire de l’art à l’EPHE