Gustave Fayet et ses demeures
Gustave Fayet et plus encore son père Gabriel furent les contemporains de la révolution industrielle, qui, à la faveur d’une libéralisation des échanges à l’échelle mondiale, de la découverte de nouvelles sources d’énergie et d’innovations technologiques majeures, se traduisit par un vaste mouvement de reconstruction des villes et une mutation profonde des campagnes françaises. L’industrie languedocienne déjà bien présente et fort active se trouva dépassée par les progrès de la monoculture viticole. La révolution de la vigne n’en produisit pas moins la prise du pouvoir économique et politique par la bourgeoisie foncière et négociante, volontiers banquière, qui façonna des villes à son image, luxueuses, conservatrices et modernes, dont Béziers peut être regardée comme l’archétype à l’instar de Bordeaux. La nouvelle classe dirigeante perpétuait le mode de vie, les valeurs et les symboles visibles de la noblesse d’ancien régime. À Béziers, les propriétaires se devaient de posséder un hôtel particulier ainsi qu’un ou plusieurs châteaux viticoles au centre de vastes domaines d’où ils tiraient leurs principaux revenus.
Milhau
La maison du père
Gabriel Fayet fut le bâtisseur de la famille. L’architecture de ses demeures répondait au double programme de logement et de représentation sociale par une mise en scène savante où la distribution des espaces et le décor jouaient un rôle essentiel.
Le parti architectural fut systématiquement celui de la transformation-extension. On ne rencontre aucune construction ex nihilo. Les demeures dont les élévations conservées remontent au XVIIe siècle ont été exhaussées, dotées d’ailes, de tours, percées de nouvelles ouvertures.
À l’hôtel Fayet, Gabriel aménagea un jardin d’hiver dans une galerie sur cour dont l’encorbellement protège l’entrée de la demeure. Il acheva une extension importante en 1899 année de sa mort, pour y aménager des écuries, un appartement et trois vastes salles sous verrières où exposer ses collections.
Jardin d’hiver à l’Hôtel Fayet
Védilhan en 1908
A La Dragonne, l’architecte Louis Dusfour réalisa en mai 1864 l’exhaussement de la demeure d’un niveau, la construction de deux tours polygonales sur l’angle couvertes de toits en poivrière et le percement de cinq travées de fenêtres en façade principale sur le parc.
À Védilhan, l’architecte Jules Mas magnifia la demeure en 1893 par l’ajout d’un comble aigu percé de lucarnes, la création d’une échauguette sur l’angle, la construction d’une tour circulaire sur l’angle opposé.
Canet et Milhau conservèrent une certaine sobriété malgré la rationalisation de la distribution du bâti, la modification des accès et l’agrandissement des percements qui contribuèrent à donner aux ensembles une monumentalité et une élégance nouvelles.
Chaque demeure fut agrémentée d’un jardin et d’un parc paysager. Le plus romantique est celui de Védilhan avec son étang artificiel dans lequel se mire la haute silhouette de la demeure érigée sur une éminence. Milhau possède un parc arboré en belvédère en forme de demi-lune agrémenté d’une fontaine en son centre. Le parc de La Dragonne s’étage depuis le belvédère sur une colline au-dessus du château, de laquelle descendent des allées et un réseau hydraulique qui anime les fontaines du jardin et du potager près d’une serre construite en 1884. Le jardin de Canet arrosé par les eaux du Libron surprend par son étendue et la symétrie de son tracé régulier. Le jardin de l’hôtel Fayet était le lieu secret de la vie familiale.
Le style adopté sacrifie à la mode éclectique de cette époque et sert une ambition d’ostentation. Védilhan relève du plus pur style néo-renaissance, tout comme le décor d’un salon de l’hôtel Fayet peut-être le bureau de Gabriel ou une salle à manger. Le plus souvent, le style néo-classique dans son expression sobre ou raffinée domine le décor architectural comme le mobilier, conforme au goût traditionnel de la bourgeoisie. Les boiseries dorées des salons de l’hôtel datant du XVIIIe siècle furent précieusement conservées. La Dragonne malgré son éclectisme présente une façade ordonnancée organisée autour d’une travée centrale surmontée d’un fronton semi-circulaire à tympan historié. Canet et Milhau respectent les lignes simples de l’ancienne métairie, même si les parties hautes viennent manifester leur appartenance bourgeoise.
Gustave Fayet vécut sous ces décors pompeux chargés des symboles de la richesse et de la notabilité. Leur fréquentation quotidienne fut si marquante qu’il n’y toucha guère, cherchant ailleurs le terrain d’expression de sa sensibilité.
La serre de La Dragonne, Gustave Fayet, 1891, huile
Paysage peint par Gabriel Fayet
Vestibule de La Dragonne
Un conservateur
Il laissa intacts les lieux qui correspondaient au mode de vie multi résidentiel de ses aïeux qu’il perpétua. Son père l’avait installé à Milhau à l’occasion de son mariage avec Madeleine d’Andoque en 1893, l’année de l’achèvement du château de Védilhan où il se retira. Lorsqu’il mourut en 1899, Gustave délaissa Milhau pour succéder à son père à Védilhan, en alternant sa résidence avec l’hôtel urbain dans lequel il plaça ses bureaux et où il recevait la bonne société, en digne héritier d’une des plus grandes familles biterroises. Milhau devenait pour lui une réserve de chasse et un lieu d’expérimentations agricoles.
Les apports décoratifs de Gustave furent minimes dans les demeures qu’il reçut en héritage. Pour l’hôtel il commanda à son ami Louis Paul un dessus de cheminée peint en 1899, ainsi que deux panneaux en haut-relief et deux tympans en terre cuite pour Milhau. Il y fit aussi placer du papier peint art nouveau acheté à Paris à “La Maison Moderne” en 1901. À Védilhan, il ne toucha pas aux grands paysages et natures mortes peints par son père et surtout pas au portait de famille commandé par son grand-père Antoine en 1850 à Auguste-Barthélemy Glaize. À La Dragonne il respecta les paysages peints dans le vestibule par son père. L’hôtel s’ornait des bustes des membres de la famille commandés à Injalbert et Louis Paul, des paysages et natures mortes peints par ses père et oncle, accrochés cadre à cadre sous les verrières. De ses fréquents voyages à Paris il ramenait des œuvres contemporaines de Vuillard, Gauguin, Cézanne, qui complétaient ce décor traditionnel d’une touche de modernité.
Un décorateur
Il finança avec passion la restauration de Fontfroide, acquise par sa femme en 1908. L’architecture de ce monument historique fut respectée avec bonheur mais le parti décoratif laissé libre par les doctrines de restauration suivit deux axes, dans “un respect mêlé d’audace” : il rechercha l’unité de style avec la constitution d’un ensemble mobilier et d’objets contemporains des périodes architecturales représentées ; il organisa la cohabitation avec des œuvres symbolistes : vitraux et décors muraux de Richard Burgsthal, huiles sur toiles de grandes dimensions d’Odilon Redon pour la bibliothèque.
L’harmonie entre ces décors si différents est la plus grande réussite de ce chef-d’œuvre d’art total. L’abbatiale est magnifiée par le traitement vibrant de l’iconographie chrétienne des vitraux, par l’exécution du thème de la musique pour les vitraux et la peinture monumentale du salon de musique, ancien dortoir des moines.
Ginette Borrel, Madame Redon, Ari Redon, Madeleine Fayet (de dos), Simone Fayet, Antoine Fayet et Odilon Redon, dans le grand parloir (ou ancien réfectoire des moines), Fontfroide, 1910
Fontfroide, Grand parloir, Azulejos, cuirs de cordoue
Dans l’ancien réfectoire des moines, les créations de Burgsthal sur le thème de l’amour dans l’art lyrique cohabitent avec un ensemble décoratif de style espagnol composé de fauteuils et de chaises tapissés de cuir repoussé, d’azulejos, de céramiques de Manises et de lanternes de procession achetés en Espagne par son factotum et ami Émile Carbonnel.
Ailleurs, c’est le style du XVIIIe siècle qui a été préféré par des remplois d’éléments hérités par Madeleine provenant des propriétés Salvan, négociants biterrois.
Tout en gardant un pied-à-terre à Paris, Fayet fit l’acquisition personnelle des anciennes dépendances du château d’Igny, dans la vallée de la Bièvre en Essonne en 1912. Ce logis du XVIIe siècle doté d’un grand parc allait servir de cadre élégant et champêtre à son exceptionnelle collection.
Il confia sa réhabilitation au tandem d’architectes décorateurs Louis Süe et André Mare, qui sut traduire son amour pour la nature, son goût du confort et de l’élégance, mais aussi son attachement clanique à l’intimité familiale.
Fayet transforma l’ancienne grange en bureau et musée privé rappelant l’atelier de la rue du Capus. Après la Guerre il multiplia dans ses propriétés les acquisitions et prélèvements de mobilier, d’objets, d’œuvres pour la demeure et son parc, comme il le fit pour Fontfroide.
Château d’Igny, vers 1912
En 1920 il acheta la villa Costebrune au Pradet près de Toulon avec la dot restante de Madeleine. Il laissa libre cours à sa passion créatrice dans ce lieu dominant la mer, inondé de soleil. Il entreprit de peindre sur les murs du grand salon et des chambres de vastes paysages méditerranéens, des arbres fleuris, couvrant la totalité de l’espace de sorte que le décor et la vue devinrent les véritables hôtes de la demeure.
A Igny il réussit à mêler harmonieusement mobilier et objets du XVIIIe siècle et de l’Empire avec des tableaux néo-impressionnistes et symbolistes, des estampes japonaises, des bibelots hindous et chinois. Partout il prit soin de doter les tableaux de cadres dont les formes et le décor devaient en rehausser la beauté.
La villa Costebrune
Cave de Védilhan
Un patrimoine commun
Par son mariage avec Madeleine d’Andoque de Sériège, ce sont les deux plus importantes familles de bâtisseurs du Languedoc qui s’allièrent et le patrimoine commun déjà considérable s’agrandit tout au long de leurs vies :
- Védilhan, domaine familial, acquis en 1824 par Antoine Fayet (grand-père de Gustave Fayet) compta jusqu’à 210 ha de vignes. En 1895, Gabriel Fayet construisit d’immenses caves pouvant loger au moins 15.000 hl de vin.
- Canet, propriété viticole. En 1906, on y récoltait 7.000 hl de vin.
- La Dragonne, aux portes de Béziers, récoltait 5.000 hl en 1896.
- Milhau, près de Puisserguier, est une des premières propriétés des Fayet, acquise par Pierre Fayet en 1793.
- Seigneurie de Peyrat, près de Pézenas, s’étend sur 200 ha dont 140 de vignes et 7 d’oliviers et le reste en bois.
- Sériège et Grange Madame, achetés par Madeleine Fayet et son frère André d’Andoque de Sériège en 1910. L’indivision s’arrêta en 1917 quand André d’Andoque de Sériège racheta la part de sa sœur. En 1896, Sériège produisait plus de 12 000 hl de vin.
- Mourgues, près de Carcassonne, essentiellement faite de champs, avait comme but uniquement de nourrir les nombreux chevaux des différentes autres propriétés. Le foin était transporté sur les autres propriétés essentiellement par le Canal du Midi.
- Jardin Notre Dame, à la sortie de Béziers appartenait à Madeleine Fayet qui la reçut en donation par sa marraine, Madame Etienne Salvan. C’est dans cette maison que vécurent Gustave et Madeleine Fayet après leur mariage.
- Hôtel de Villeraze (Rue du Capus à Béziers) a été acquis par les arrières-grands-parents de Gustave Fayet en 1826. Cet hôtel dans lequel Gustave et Madeleine Fayet vécurent servit de bureau à Gustave Fayet pour gérer l’ensemble de ses propriétés, qu’il visitait très régulièrement. Cet hôtel fut agrandi au XIXème siècle pour créer un garage, des écuries et au 2éme étage de vastes ateliers pour Gabriel, Léon et Gustave Fayet, peintre et collectionneur.
- Hôtel du 1 rue Tourventouse à Béziers. Cet hôtel provient des arrières-grands parents de Madeleine Fayet qui y passa toute son enfance. Cet hôtel fût vendu par les Fayet en 1919 pour acheter la villa de Costebrune près de Toulon.
Jardin de Notre Dame
Abbaye de Fontfroide
- Costebrune, magnifique villa de style italien près du cap Brun à Toulon.
- Château d’Igny, dans l’Essonne. Il fut acquis en 1912 par Gustave et Madeleine Fayet pour « fuir » Paris et ses encombrements et pour y disposer la très belle collection de tableaux constituée par Gustave Fayet.
- Abbaye Saint André à Villeneuve les Avignon. Gustave Fayet avait acquis cette abbaye en 1917 en servant de prête nom à deux de ses amies, Génia Loubov, d’origine russe et Elsa Koeberlé, alsacienne, puis allemande depuis 1871. La guerre de 1914-1918 n’étant pas encore terminée, Elsa Koeberlé et Génia Loubov étaient réfugiées en France.
www.abbaye-saint-andre.com - Abbaye de Fontfroide, achetée par la dot de Madeleine Fayet en 1908, restaurée par la suite par le couple Fayet, Fontfroide reste le fleuron de la famille Fayet, appartenant toujours aux descendants de Gustave et de Madeleine Fayet.
www.fontfroide.com
PS : la plupart des photographies et cartes postales datent de l’époque de Gustave Fayet.
Par Lionel Rodrigez, Attaché de conservation du Patrimoine